Par Annabelle Chauviteau
Présentation du site
Parmi les sites de l’Île d’Yeu ayant livré des témoins d’occupation protohistorique, le site de la Pointe du Châtelet, inscrit à l’inventaire des Monuments Historiques (MH) depuis 1986, présente les vestiges les plus remarquables et les plus spectaculaires.

Localisé sur la côte méridionale de l’île (Fig. 1), le site, également associé au toponyme « La Redoute Romaine », est établi sur un promontoire rocheux naturellement protégé par des falaises d’une dizaine de mètres (Fig. 2). Il présente les vestiges d’un puissant rempart de plus de 3 m d’élévation dont l’empreinte sur le paysage est particulièrement marquante (Fig. 3, et voir infra Fig. 7 et 8). Construit en pierres et en terre – et probablement en bois – cet ouvrage défensif, partiellement fouillé, barre sur plus de 200 m de longueur la presqu’île du Châtelet, délimitant un espace de plus de 10 ha.


Un site mal connu
La documentation archéologique disponible provient essentiellement de prospections de surface. Composée de plusieurs collections, surtout privées, elle n’a fait l’objet d’aucune synthèse. Les données archéologiques les plus consistantes, bien que lacunaires, concernent l’architecture du rempart et proviennent d’un sondage de 18 m² réalisé en 1985 par N. Rouzeau (Fig. 4 et 5).

Partiellement fouillé, sur environ un mètre de profondeur, l’ouvrage défensif est constitué d’un talus présentant plusieurs lignes de parement de pierres présentant des traces de calage de poteaux, ce qui laisse supposer différentes phases de construction et la présence d’une palissade. La fortification est complétée par deux fossés : le premier, large d’environ 2,50 m à l’ouverture et probablement profond, est immédiatement situé en contrebas du talus, le second, plus modeste (moins d’un mètre de largeur et de profondeur), est placé en avant du premier.

Le mobilier céramique collecté à l’occasion de ce sondage atteste une occupation du site au cours de la Tène D. Toutefois, étant donné le caractère partiel et incomplet du sondage, cet horizon chronologique, bien que plausible, n’est pas nécessairement représentatif de la période d’utilisation du rempart dont la chronologie est probablement plus large.
Au reste, le mobilier lithique et céramique provenant des nombreuses prospections de surface effectuées sur le site témoigne d’une occupation plus précoce du site, au Bronze ancien et/ou au Néolithique final. Les ramassages de surface ont notamment livré des tessons à décor de cordon digité (Fig. 6), que l’on peut attribuer au Bronze ancien. Quant au corpus lithique, malheureusement en partie dispersé ou perdu, certaines pièces – armatures de flèche à pédoncule, à base convexe, à crans opposés – accréditent l’hypothèse d’une occupation du site dès le Néolithique final.

Un potentiel archéologique remarquable, mais menacé
Outre le rempart monumental, le site présente, en arrière d’une avancée rocheuse appelée « Le Petit Châtelet », un second talus de 21 m de longueur flanqué d’un fossé peu marqué d’environ 4 m de largeur et le long duquel s’organise un empierrement suggérant la présence d’une substruction.
Au centre de l’espace enclos, se situe une vaste dépression circulaire au centre de laquelle on perçoit un aménagement empierré (retenue d’eau ?). À l’ouest de la dépression, on peut aussi observer, sur une trentaine de mètres de longueur, un alignement de 23 pierres dressées.
Bien que protégé au titre des codes du Patrimoine et de l’Environnement, le site de la Pointe du Châtelet n’en subit pas moins une forte pression touristique, ce qui entraîne une dénudation des sols et une érosion préjudiciable à l’intégrité de ses vestiges immobiliers et mobiliers.
Un projet de prospection thématique interdisciplinaire
L’intérêt du site, l’ampleur de ses structures, mais également les menaces qui pèsent à terme sur sa conservation, justifient la mise en oeuvre de travaux visant à synthétiser et compléter les données existantes. Dans le même temps, l’étude du site soulève d’importantes difficultés méthodologiques.
La fouille du rempart supposerait la mise en oeuvre d’une longue tranchée transversale (de 25 à 30 m au moins). Par ailleurs, étant donné la puissance attendue de la stratigraphie – de l’ordre de 4 m au moins sous le talus – il conviendrait d’aménager plusieurs paliers de sécurité sur une largeur de 10 à 15 m. La réalisation de tels terrassements implique des moyens mécaniques, puisque l’on peut situer le cubage prévisionnel entre 250 et 450 m³… Or les mesures de protection qui s’appliquent au site interdisent cette option, ainsi que toute fouille extensive.
Ces contraintes conduisent à privilégier des approches moins pénalisantes sur l’environnement. Dans cette perspective, sont proposées des méthodes non intrusives destinées à cibler d’éventuelles investigations ultérieures sur des fenêtres limitées mais susceptibles de documenter la stratigraphie et la chronologie du site.
Démarche et méthodes envisagées
Le projet d’étude consiste en une prospection thématique interdisciplinaire articulée autour de 4 axes :
1 – Inventaire, récolement et étude des collections de mobilier
L’objectif est de produire une synthèse des données existantes et de caractériser les horizons chronologiques du site. On s’attachera en outre à localiser, aussi précisément que possible, la provenance des objets sur le site.
2 – Analyse détaillée de la micro-topographie du site
Ce volet se fondera sur l’analyse sur SIG (système d’information géographique) des données LiDAR (light detection and ranging) brutes acquises par l’IGN et le SHOM (service hydrographique et océanographique de la Marine) pour la réalisation du référentiel altimétrique Litto3D. Ce volet s’attachera à identifier des anomalies topographiques susceptibles d’indiquer des structures en creux et en élévation (Fig. 3, 7 et 8). Une analyse minutieuse de la topographie fournira en outre une grille de lecture complémentaire des prospections systématiques effectuées sur le terrain.


3 – Prospection géophysique
Compte tenu de la surface de l’éperon et du contexte géologique (substrat rocheux formé d’orthogneiss fortement diaclasé), est envisagée une cartographie de l’ensemble du site par prospection électromagnétique en considérant deux profondeurs d’investigation (0-1 m et 1-2 m). Celle-ci pourra rendre compte de la profondeur d’apparition du substrat rocheux et détecter la présence de zone de creux (diaclases, structures). Les zones les plus faciles d’accès feront l’objet d’une prospection magnétique en adoptant une profondeur d’investigation d’un mètre. Cette méthode, récemment employée avec succès sur d’autres sites de l’Île d’Yeu (Pointe de la Tranche, Ker Daniaud, Pointe du Port de la Meule), devrait permettre de discriminer structures archéologiques et structures naturelles.
4 – Prospection phyto-archéologique
Conjointement à la réalisation des prospections géophysiques, des relevés botaniques sont envisagés selon un carroyage systématique constitué d’unités d’enregistrement de 10 m de côté. La démarche vise à appréhender, à l’échelle du site, la distribution spatiale des espèces végétales selon leurs affinités écologiques. Étant donné le contexte pédologique (sols assez superficiels et plutôt bien drainés sur substrat rocheux), on s’attachera en particulier à étudier les occurrences éventuelles d’espèces affectionnant les sols frais voire humides, possiblement indicatrices de sols profonds et susceptibles de signaler la présence de structures en creux comblées. Conjuguée aux prospections magnétiques dont elle pourra faciliter l’interprétation, la méthode permettra en outre, au travers d’une cartographie des espèces protégées, de délimiter les secteurs incompatibles avec la mise en oeuvre de sondages archéologiques.
Sans préjuger des résultats des prospections de terrain, tant géophysique que botanique, on peut attendre de ces démarches des éléments d’appréciation de l’organisation spatiale du site et de ses potentialités archéologiques. On peut également en espérer des perspectives concrètes et réalistes pour la mise en oeuvre, à plus long terme, d’une stratégie de fouille pluriannuelle.