Par Annabelle Chauviteau
Le cimetière des Noyés se situe sur la côte nord-ouest de l’Ile d’Yeu (Vendée), entre la pointe des Cantins et la plage de la Planche à Puare avec une forte concentration d’inhumations autour de la pointe de la Gournaise (fig. 1). Le littoral est ici formé de dunes sur plage et de dunes perchées sur platier rocheux. Face aux vents de nord’-ouest, le trait côtier de cette zone est fortement perturbé (fig. 2) et en net recul depuis plusieurs années, ce qui a occasionné la découverte à ce jour de 14 sépultures différentes.


Cette côte est en effet réputée dangereuse pour la navigation par la présence, plus au large, de récifs tels que les Chien Perrins et les Petits et Grands Champs, mais aussi de hauts fonds tels que ceux de Basse Flore. On y dénombre de multiples naufrages et par conséquent de nombreuses noyades liées à ces fortunes de mer. La transmission orale attribuait à cette côte la funeste réputation d’avoir servi de cimetière pour ces noyés et seulement une carte datée de 1796 témoignait de la présence de ce cimetière sur la pointe de la Gournaise (fig. 3). En 1993, Jean Humeau indiquait dans son ouvrage Des vigies aux sémaphores que « de nombreux naufrages aux conséquences dramatiques ont fait que cette zone de l’île (côte nord-ouest) contiendrait un nombre impressionnant de dépouilles de naufragés, sans doute depuis les origines de la navigation et de ses premiers accidents. Des pêcheurs en plantant des piquets pour y faire sécher leurs filets seraient tombés plusieurs fois sur des crânes ou des squelettes ensevelis aux os couleur de sable. » (Humeau 1993).

C’est l’érosion maritime qui va attester de la présence de ce cimetière en décembre 1999. En effet, à l’issue des tempêtes Lothar et Martin qui ont fortement dégradé la dune, des squelettes humains furent retrouvés fortuitement par les services techniques municipaux et déclarés officiellement pour la première fois en Gendarmerie. Cependant, aucune opération archéologique ne fut réalisée et aucune archive concernant ces découvertes ne fut conservée.
En 2010, Denis Leroy, un promeneur, découvre un autre squelette sur la pointe de la Gournaise. Les gendarmes ont alors recueilli les ossements et envoyé un prélèvement au laboratoire de Lyon 1 pour datation radiocarbone. Les résultats observés sont que l’individu dont la matière organique de l’os a été mesurée est mort entre 1450 et 1630 après J.-C. (Lyon-8000 (OxA) : 365 ± 25 BP ; Chauviteau 2012).
En janvier 2011, d’autres ossements sont apparus un peu plus à l’est (plage du Petit Poiry) et découverts par Patrick Vienne. Ce dernier les a dégagés et ramenés chez lui avant de prévenir les instances compétentes. Ces vestiges formaient les restes partiels d’un individu mature (plus de 30 ans) de sexe masculin, d’une taille estimée à 1,66 m (± 4 cm). Une datation au radiocarbone a été obtenue (Lyon-8827 (SacA 27795) : 440 ± 30) soit un âge calibré compris entre 1416 et 1609 ap. J.-C. Cet individu a fait l’objet d’un compte-rendu d’expertise archéologique par Yann Le Jeune (DRAC-SRA) ainsi qu’une étude ostéologique et paléobiologique effectuée par Mona Le Luyer (Chauviteau 2012).
Le 30 octobre 2012, Mme Dolorès Chauviteau découvre de nouveaux ossements sur la pointe de la Gournaise, en coupe de dune. Il s’agissait de deux individus, l’un mature et probablement de sexe masculin et l’autre immature (Large 2013). La quasi-totalité du squelette fut prélevé en raison de l’éboulement de la dune due à l’érosion marine.
Une fouille programmée fut réalisée sur ce site du 21 au 28 juin 2013 sous la direction de Jean-Marc Large. Sur la tranche laissée par l’érosion marine et le passage des usagers de la côte a été définie une bande orientée est-ouest de 0,70 m de large maximum sur une longueur de 4 m qui a permis de réaliser une coupe dunaire et de mettre à plat le niveau de dépôt des corps. Il s’agissait de déterminer précisément la nature du creusement qui a précédé l’enfouissement des corps, d’évaluer la chronologie des deux dépôts (simultanés ? successifs ?) et de relever précisément sur le terrain les restes du ou des squelettes.
Les découvertes vont se succéder après chaque tempête et/ou chaque grande marée (fig. 4 et 5) jusqu’à aujourd’hui (la dernière découverte date de février 2016 ; fig. 6). Un protocole d’intervention d’urgence a été mis en place entre le service régional de l’archéologie de la région Pays de la Loire et le service du patrimoine de la Mairie de l’Ile d’Yeu. Il consiste à ce que le service du patrimoine, lors de la découverte fortuite d’ossements et après l’alerte des instances administratives (Gendarmerie, SRA, Maire), intervienne avant la prochaine marée haute afin d’extraire les ossements susceptibles de partir à la mer. Cette côte étant classée zone naturelle protégée, ces interventions doivent être réalisées sans porter atteinte de quelque manière que ce soit au couvert végétal. Mais de cette méthode résulte des nombreuses lacunes (aucune approche taphonomique, ensembles souvent incomplets, etc.).



L’érosion du trait côtier a donc fait apparaître sur cette zone de l’île un site d’un type inédit pour la région mais qui se dégrade et disparaît inexorablement à chaque tempête. Les squelettes, depuis leur sortie du sable sont conservés dans le dépôt archéologique municipal mais cet environnement menace leur conservation et par conséquent la possibilité d’en apprendre davantage sur ce site et sur les individus qui y furent inhumés. Une étude anthropologique de ces ensembles permettrait de documenter le site avant qu’il ne disparaissent pour des raisons climatiques et sanitaires.
Pour aller plus loin :
CHAUVITEAU A. 2012. Squelettes découverts sur la côte nord-ouest de l’île d’Yeu (Vendée, 85), rapport de prospection-inventaire. Service patrimoine de la mairie de l’île d’Yeu, Nantes, Service régional de l’archéologie des Pays de la Loire, 18 p.
HUMEAU J. 1993. Des vigies aux sémaphores : les témoins de l’histoire islaise. Ile d’Yeu, Atelier du Patrimoine Islais, 56 p.
LARGE J.-M., TORTUYAUX J.-P., CORSON S., CHAUVITEAU A. 2013. Rapport de prospection-inventaire sur le littoral de la Vendée. Nantes, Service régional de l’archéologie des Pays de la Loire, 44 p.